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Jean-Baptiste Delzant
† 1435.
Dans la documentation des années 1390, Chiavello di Guido et son neveu Tomaso apparaissent ensemble comme acteurs de la vie politique et militaire de Fabriano. Ils suivent leur frère et père, Guido. Ce dernier meurt vers 1404, laissant son fils occuper l’un des premiers rôles de la seigneurie jusqu’à sa disparition brutale, en 1435. A cette date le pouvoir des Chiavelli sur Fabriano, consolidé par Guido après 1378, s’effondre définitivement.
Dès la mort de Guido (ca. 1404), Chiavello se rend auprès de Boniface IX pour obtenir la confirmation du vicariat que son frère avait obtenu une dizaine d’années plus tôt. Il prête serment, pour lui et son neveu dont il est procurateur. Les deux hommes deviennent alors vicaires pontificaux au temporel de Fabriano et des châteaux de Domo et de Rochetta dei Tanghi (dioc. Camerino). Prericchie n’est plus inclus dans leur juridiction. En 1415, Tomaso obtient des émissaires du concile de Constance un vicariat sur Serra San Quirico, qui ne cite ni Fabriano ni les castri précédents.
Conformément aux pratiques antérieures, Chiavello n’attend pas les concessions pontificales pour contrôler des territoires. Il s’empare brièvement de terres lors d’expéditions militaires auxquelles il participe. Engagé aux côtés de Braccio da Montone, il obtient une partie du contado de Jesi après la victoire du condottière pérugin sur la cité (1409).
En 1418, Tomaso est salué par Martin V comme son vicaire général au temporel “in Fabriani et nonnullis aliis terris et locis” L’année suivante, les castra de Serra San Quirico et de Domo sont de nouveau concédés dans un vicariat attribué collectivement à Tomaso et à ses fils Battista, Guido, Galasso, Nolfo et Bulgaro “nostro durante beneplacito”. En 1425, Tomaso verse de nouveau un cens à la papauté pour les castri de Serra San Quirico et de Domo. Les paiements de cens pour Fabriano et ces deux places fortes sont régulièrement attestés jusqu’en 1432, ainsi que le versement de la taille de ces lieux. L’espace officiellement placé sous le vicariat des Chiavelli reste bien modeste au regard de celui d’une grande famille voisine comme celle des da Varano. Il présente cependant, selon toutes vraisemblances, les mêmes caractéristiques : un agrégat hétérogène et discontinu de terres, possédées en propre pour certaines, tenues par la force et l’intimidation pour d’autres, administrées tantôt en vertu de droits seigneuriaux personnels, tantôt au nom de la commune ou d’une délégation de l’autorité pontificale.
Les Chiavelli sont une ancienne famille féodale. Ils ont fait acte de soumission à la commune de Fabriano en 1165 avant d’effectuer leur inurbamento, à l’image de nombreuses autres familles des environs. A partir de la fin du xiiie siècle au moins, la documentation montre des membres de la famille dans des fonctions militaires au sein de la terra. Ils appartiennent à la militia et participent aux chevauchées de la commune. Durant le deuxième et le troisième quart du xive siècle, les Chiavelli sont en conflit ouvert, de façon récurrente, avec la commune populaire qu’ils ne cessent d’essayer de dominer. La papauté les condamne à de nombreuses reprises pour rébellion, avant de les absoudre et tenter de favoriser la paix avec Fabriano (vedi scheda “Alberghetto II Chiavelli”).
Au moment des conflits opposant guelfes et gibelins, dans la première moitié du Trecento, les Chiavelli se rangent dans le camps se revendiquant de l’Empire. Lors du Grand Schisme, après un probable temps de latence, ils optent pour l’obédience romaine. Ils se retrouvent ensuite régulièrement auprès de l’un ou de l’autre des adversaires de Florence, qui entend encore rassembler derrière elle les tenants d’un guelfisme depuis longtemps dépourvu de toute réelle portée politique (cf. infra “sistemi di alleanza”).
En 1385, la commune d’Assise envisage d’écrire à Antonio da Montefeltro, comte d’Urbino, et à Chiavello di Guido Chiavelli “domino de Fabriano”, au sujet d’une menace militaire pesant sur elle. Le texte montre la présence du fils aux côtés du père au pouvoir et indique que le premier jouit également du titre de “dominus”. En 1393, Chiavello et son neveu sont absouts par Boniface IX de l’occupation illégale de terres de l’Eglise. Leur nom suit celui de Guido, qui est qualifié de miles alors que les deux autres hommes sont simplement appelés “domicelli”. Chiavello est fait chevalier dans la décennie qui suit. Une bulle pontificale de 1404 est adressée à “Clavellus miles quondam Guidonis militis natus et Thomas quondam Nolfi de Clavellis natus domicellus de Fabriano”. Dans son testament (1412), Chiavello se présente comme le “magnificus miles et dominus Clavellus domini Guidonis domini Albergetti de Clavellis”.
Ni Tommaso ni son fils Battista, quant à eux, ne semblent avoir été adoubés. Dans l’invocation des statuts de 1415, le “dominus” Tomaso Chiavelli est dit “dicte terre Fabriani eiusque comitatus, fortie et districtus pro Sancta Romana Ecclesia in temporalibus vicarius, dominus et gubernator generalis ”. En septembre 1419, la bulle de concession de vicariat le désigne encore comme “domicellus de Fabriano”, à la différence de ses propres fils dont le nom n’est suivi d’aucun titre. Les six hommes sont tous faits “in temporalibus generales vicarios, rectores, gubernatores et administratores dictorum castrorum [Serrasanquirici et Domi]”.
Chiavello est associé au pouvoir, militaire et politique, par son père Guido. En août 1393, les deux hommes concluent une union défensive contre les compagnies de mercenaires avec Ascoli, Fermo, Gentile et Rodolfo da Varano, les Smeducci de Sanseverino, ainsi que de nombreux autres seigneurs de la Marche d’Ancône. A la même période, Tomaso apparaît également dans l’entourage direct du seigneur. Lorsque ce dernier meure, l’oncle et le neveu lui succèdent. Le père de Tomaso, Nolfo, est probablement disparu avant le début des années 1390. Chiavello a d’autres frères, que l’historiographie mentionne parfois à ses côtés au pouvoir (Alberghetto et Tomaso) mais sur lesquels les très rares sources conservées restent muettes. Le principe adopté pour la transmission du pouvoir semble être une forme souple de succession héréditaire combinée à un partage du pouvoir au sein de la fratrie. Battista paraît destiné à succéder à Tomaso et à devenir chef de famille. Il bénéficie de quelque prééminence sur ses frères, dont quatre (Guido, Galasso, Nolfo et Bulgaro) n’en sont pas moins inclus avec lui dans un des vicariats au temporel concédés par Martin V.
Durant la plus grande partie de leur domination, Chiavello et Tomaso exercent le pouvoir avec le titre de vicaire pontifical. Ils en ont hérité de Guido Napoletano, peut-être du vivant même de ce dernier puisque leur premier versement de cens attesté pour le vicariat au temporel sur Fabriano date de 1401. Quoi qu’ils en soit, ils sont confirmés dans cette charge à la suite de la mort du vieux seigneur, en 1404. Après cela, les démarches pour le renouvellement de la charge se multiplient. En 1415, à Camerino où résident les ambassadeurs du concile de Constance, Battista prête serment au nom de son père pour la remise du vicariat sur Serra San Quirico. Tomaso obtient ensuite d’un Martin V récemment élu un nouveau vicariat, à la fin d’une séquence montrant l’attention portée par la famille aux péripéties de la fin du Grand Schisme. Apparaît également la capacité des Chiavelli à se ménager au sein de l’institution ecclésiastique des entrées leur permettant de conserver la légitimation pontificale, alors qu’ils doivent composer localement avec la commune.
Chiavello, Tomaso, Battista et les leurs exercent un pouvoir seigneurial étroitement dépendant du cadre communal qui leur apporte ses normes, ses structures, son personnel. En 1415, de nouveaux statuts communaux sont publiés. Dans l’invocation, après les protecteurs divins en la gloire desquels le corpus de lois est réformé, Tommaso et ses “fils magnifiques” apparaissent avant la commune et les hommes de Fabriano dont le texte doit garantir le “pacificum et tranquillum statum”. Un registre de comptes de la commune (1412-1416), mentionnent aussi bien Tomaso et que Battista comme “sengnore” (sic) mais le père apparaît est seul à occuper le premier plan, comme dans les statuts ou dans une liste des bénéficiaires de grâces et de compositions (1418-1421) qui cite le père comme “magnificus dominus” et vicaire apostolique, et le fils comme “eius natus”. La nature des actes contenus dans le dernier document cité montre que le seigneur dispose d’un pouvoir discrétionnaire dans certains domaines.
En 1382, une réforme des statuts de l’Art de la laine avait été approuvée par les instances communales, le conseil, les prieurs et le defensor comunis, alias Guido Chiavelli. En 1418, Tomaso en confirme une nouvelle version, cette fois seul, avec l’unique titre de “vicaire de la Sainte Eglise”. Les statuts communaux de 1415 ne mentionnent jamais Tomaso que comme seigneur, sans titre ni charge découlant explicitement de la commune. Il y a là une réorientation de la nature du pouvoir, qui devient davantage personnel et dynastique et repose en grande partie sur la légitimation pontificale. Le mouvement paraît s’amorcer avec le couple Chiavello-Tomaso. C’est seulement comme “dominus”, en son nom et en celui de son neveu, que le premier donne quitus au camérier général de la commune, qu’il reçoit au palais familial en 1404. Six mois plus tard, Tomaso donne son approbation au bilan de l’officier, cette fois dans le palais communal. La mention de ces deux lieux indique l’étroitesse des liens entre la commune et le seigneur, en même qu’elle suggère la souplesse de la structure de gouvernement qui associe ces deux pouvoirs.
La commune populaire reste bien le cadre politique de référence, auquel le pouvoir des Chiavelli vient se juxtaposer. Les seconds s’imposent à la première, notamment grâce à l’investiture pontificale, mais ne démantèlent pas un mécanisme institutionnel auquel ils restent pour partie extérieurs. Le premier article du premier livre des statuts de 1415 est consacré au podestat, “seu vicarius” de la terra. Ce dernier est chargé de gouverner conformément la justice, de rendre la justice “tam minoribus quam maioribus, secundum formam statutorum et ordinamentum dicte terre”, mais aussi de défendre les Arts conformément aux statuts de la commune. Avec ses officiers, il prête serment soit entre les mains du “magnifique seigneur Tomaso”, soit (“seu”) entre celles du chancelier de la commune, représentant de la commune et des hommes de la terra. La rubrique conserve soigneusement la dichotomie par la suite : le podestat poursuit les ennemis de la commune et ceux de Tomaso, il défend les privilèges et droits de la commune comme ceux du seigneur. Elle laisse cependant apercevoir la prépotence de Tomaso lorsqu’elle dispose que le podestat ne peut s’absenter de la terra qu’avec l’autorisation du seigneur, sans que soit mentionnée d’institution communale, ou que le magistrat doit faire respecter les “statuta seu ordinamenta atque decreta”, passés et à venir, faits par Tomaso. Le texte confirme ainsi que le seigneur détient un pouvoir normatif, dont la portée reste difficile à apprécier.
La rubrique 71 du premier livre des mêmes statuts décrit le serment des officiers et conseillers des institutions civiques. Elle fait apparaître les conseillers généraux et spéciaux, les prieurs et les capitaines des arts, les consuls des marchands et ceux des autres arts. Tous jurent de maintenir la commune “in bono statu” et s’engagent à lui fournir “bonum rectorem, regimen sive potestatem”. Les Chiavelli ne sont pas mentionnés, pas plus qu’une magistrature supérieure concentrant les pouvoirs. Ces formes de pouvoir personnel institutionnalisé avaient pourtant été expérimentées au siècle précédent. Un registre de délibérations de 1305 mentionne un “capitaine de la commune et du peuple de Fabriano” (il existe encore un “capitaneus populi” en 1415), un autre, de 1325, lors d’une situation exceptionnelle de conflits, évoque un “gonfalonier et défenseur de la commune et du peuple” et un podestat qui est en outre “capitaine du peuple et capitaine général de la guerre” de la terra. Les statuts de 1415, improprement qualifiés de “seigneuriaux”, se montrent soucieux de préserver des équilibres institutionnels, sociaux et politiques, empêchant la privatisation des symboles de la commune (fontaine de la grande place, palais communal) et interdisant aux officiers de la commune (notaire, camérier, conseiller spécial, prieur des arts ou conseiller des prieurs) de cumuler des charges (livre III, rub. 14).
A la fois signe du pouvoir qu’ils exercent sur les institutions civiques et moyen de renforcement de leur position, une véritable ponction des ressources communales est opérée par les Chiavelli. Le camerlingue enregistre régulièrement les montants qu’il doit verser à l’un ou l’autre des membres de la famille sans que le motif soit précisé, les sommes prélevées par Tomaso sur les droits de péage, ou encore l’argent versé pour le règlement de nombreuses dépenses courantes de la famille : salaire de ses brassiers, entretien de ses chevaux ou de sa maison, frais de nourrice pour la fille de Battista.
Le rang auquel se trouve Fabriano dans la hiérarchie des puissances d’Italie centrale oblige la ville et ses dirigeants à suivre l’évolution de rapports de force qui les dépassent. La marge de manœuvre est presque inexistante. Participant à de nombreuses opérations militaires, Chiavello et son neveu se trouvent successivement aux côtés des grands acteurs du temps l’Italie, agissant comme hommes d’armes et diplomates. Le fils de Guido fait partie de l’armée de Gian Galeazzo Visconti, qui bat Giovanni Bentivoglio soutenu par Florence lors de la bataille de Casalecchio (1402). En 1405-1406, Chiavello est avec Guidantonio da Montefeltro, famille traditionnellement alliée des Chiavelli, dans le camp des Ubaldini qui s’en prennent à Città di Castello. Il reçoit lettres et ambassades de Florence, qui tente de protéger les Castellani et de dissuader leurs adversaires de prendre part aux combats. Chiavello s’adapte, écrit aux Florentins en août 1406 (“rogo amicitiam vestram”) puis intervient dans la négociation de paix entre les Ubaldini et Città di Castello. En 1408-1409, lorsque Pérouse se donne au roi de Hongrie, Fabriano apparaît dans l’orbite de ce dernier: Ceccolino Michelotti, puissant homme d’armes de Perugia, envoie chercher dans la terra des bombardes qui lui appartiennent et qui doivent être remises à Ladislas. En 1414, dans le traité de paix signé entre Ladislas di Durazzo et la Commune de Florence, un “ dominus Fabriani ” est cité dans la liste des “ nomina colligatorum et adherentium, et sequacium et recomandatorum ” du roi de Hongrie. Il fait partie des petits seigneurs qui ne sont identifiés que par leur ville et non par leur nom propre. Cette importance secondaire réapparaît dans la suite du texte, lorsqu’un “ dominus Fabriani ” est cité comme l’un des deux colligatorum de Rodolfo da Varano. Un “ Thomas de Clavellis ”, dont le nom n’est précédé d’aucun titre, figure quant à lui dans la liste des “ adherentium ” (etc.) des Malatesta, eux-mêmes partisans de Ladislas.
La proximité des Chiavelli et des da Varano, dans laquelle les premiers sont subordonnés aux seconds, est renforcée par des alliances matrimoniales et miliaires. Battista est mariée à Guglielma, fille de Rodolfo III, seigneur de Camerino. L’épouse de ce dernier, Costanza Smeducci, avait épousé en première noce un des oncles de Tomaso, Galasso. Les activités guerrières resserrent encore ces liens. En 1407, Chiavello et ses hommes participent, dernière Berardo da Varano, à une expédition du recteur de la Marche d’Ancône dans le territoire de Fermo. Battista combat lui aux côtés de son beau-frère, Giovanni di Rodolfo III da Varano, frère du Berardo mentionné. Il prend part à la condotte de Giovanni pour Filippo Maria Visconti en 1425, en commençant par être laissée en garantie aux Milanais alors que Giovanni, qui a touché un important acompte, part rassembler des troupes. L’association avec la Camerino voisine et ses seigneurs s’impose au regard du rôle joué dans la région par ces derniers au début du xve siècle. Elle est aussi prescrite par la loi, les statuts de 1415 exigeant des officiers et magistrats qu’ils fassent respecter “pour toujours” la paix entre la commune de Fabriano et la cité de Camerino (livre I, rub. 71).
A la fin du Trecento et durant les premières décennies du Quattrocento, un système d’alliances matrimoniales croisées particulièrement serré unit les membres des familles seigneuriales d’Italie centrale. Les Chiavelli sont partie prenante à ce jeu qui associe Trinci, da Varano, Smeducci, Montefeltre ou Malatesta. Bartolomeo Trinci est marié à une Giovanna di Guido Chiavelli, peut-être nièce de Tomaso. Un frère et une sœur de ce Bartolomeo ont épousé deux autres enfants di Rodolfo III da Varano, dont Battista Chiavelli est un des gendres. C’est logiquement à Camerino que plusieurs des femmes Chiavelli ayant échappé au massacre de 1435 (cf. infra) trouvent refuge. Les liens avec les Smeducci sont eux aussi importants. Costanza Smeducci est l’épouse de l’un des frères de Chiavello. En 1391, une alliance militaire regroupe plusieurs communes et seigneurs de la Marche, parmi lesquels figurent Chiavello et son père Guido, Gentile et Rodolfo III da Varano ainsi que trois Smeducci, les frères Nofrio et Roberto, et Antonio, fils de Nofrio. La fille d’Antonio, Bartolomea, qui a pour mère Marsobilia, une fille de Bartolomeo Trinci, est donnée comme femme à Giovanni, fils de Rodolfo III da Varano. Dans les années 1390, les familles seigneuriales et les communes de la Marche d’Ancône partagent moins deux intérêts : la défense contre les compagnies de mercenaires et l’opposition aux ambitions des frères du pape Tomacelli.
Parmi les liens avec d’autres familles, on peut encore citer le mariage prévu entre un fils de Tomaso, Guido, et Zambrogina di Ottaviano degli Ubaldini della Carda (une dispense est accordée en 1406 par Innocent VII au bénéfice de Guido di Tomaso, et non de Guido Napoletano comme cela a pu être écrit). A un autre moment, ce Guido apparaît marié avec une Bianca issue de la famille Pio de Carpi.
Tomaso, comme son grand-père avant lui, intervient dans la vie et la gestion de la collégiale San Venanzio. En tant que seigneur de la ville, il exonère de taxes sur leurs biens immobiliers un homme et son épouse devenus convers et oblate du chapitre (1413). Il ordonne également, avec un des chanoines, l’exécution d’une partie du paiement du nouveau chœur en marqueterie de l’église.
Son oncle Chiavelli et lui poursuivent les grandes orientations familiales vis-à-vis des dominicains implantés à Fabriano. L’église de ces derniers, Santa Lucia, bénéficie toujours des dons et legs de la famille qui y possède une chapelle où sont enterrés plusieurs de ses membres. Dans son testament, Chiavello laisse les revenus de deux de ses moulins du contado à Santa Lucia, dont le prieur est un de ses fideicommissari et son exécuteur testamentaire. Il agit également en faveur de l’observance franciscaine promue par Paolo Trinci († 1391) et favorisée par la famille de ce dernier autour de Foligno. En 1405 Chiavello achète l’ermitage de Valle Romita, Santa Maria di Val di Sasso, pour en faire don aux “zoccolanti”. Il s’y fait enterrer avec son épouse Lagia, dans une chapelle pour laquelle il commande un somptueux polyptyque à Gentile da Fabriano. Il attribue à la communauté des legs confortables.
Les Chiavelli maintiennent des liens étroits avec le monastère bénédictin de S. Vittore delle Chiuse, dont leurs ascendants Crescenzio et Francesco ont été abbés. Au début du xve siècle, la mitre abbatiale est portée par un commendataire et Chiavello Chiavelli loue les terres du monastère alors que les moines se sont transférés à l’intérieur du castrum, à S. Biaggio. En 1406, d’après un chroniqueur anonyme contemporain, Chiavello Chiavelli intervient personnellement dans la suppression de S. Vittore et l’agrégation d’une partie de ses biens au monastère olivétain de Santa Caterina. Il fait réaliser une inscription épigraphique pour commémorer son action. Le monastère bénéficiaire a été construit en plein cœur du castrum de Fabriano dans les années 1380-1390, avec le soutien de legs des Chiavelli (Nicolosa, épouse de Giovanni, grand-oncle de Chiavello; Gualtiero di Alberghetto, oncle de Chiavello).
L’un des artistes les plus renommés du début du Quattrocento, Gentile, est originaire de la ville. Il reçoit une importante commande de Chiavello mais travaille avant tout pour de plus grands commanditaires, la République de Venise, la papauté, les Strozzi de Florence ou Pandolfo III Malatesta. En 1420, il n’en promet pas moins à Tomaso Chiavelli de venir se réinstaller à Fabriano en échange de privilèges fiscaux. Il ne tient pas parole. Son cas illustre néanmoins la façon dont les seigneurs peuvent, dès le début du Quattrocento, s’assurer de la présence d’un artiste de renom et déployer une diplomatie reposant sur la circulation des artistes. Plusieurs d’entre eux se déplacent ainsi d’une ville à l’autre en suivant le réseau des alliances matrimoniales. L’atelier de Gentile travaille pour les Trinci autour de 1410, Giovanni di Corraduccio, peintre de Foligno, travaille à Camerino et à Fabriano tandis qu’Ottaviano Nelli, proche des Montefeltre œuvre notamment dans la chapelle du palais Trinci et à Fabriano.
La cohésion familiale est manifestée par le palais seigneurial situé sur la place de la commune. Sous un même toit, il héberge bon nombre des membres de la famille de Tomaso. Un inventaire de 1449 mentionne ainsi la chambre du seigneur, celle d’un Guido (un frère et un fils de Tommaso portent ce nom), celle de la “donna di Galazzo” (sans doute une belle-fille du maître des lieux). De nombreux membres de la famille exercent des responsabilités politiques.
Cette pratique explique en partie le massacre de la famille en 1435. Une part importante de l’élite urbaine est sans doute tenue à l’écart des décisions politiques et des charges rémunératrices. La captation des ressources publiques et la concentration du pouvoir doivent renforcer les tensions au sein du corps social et raviver les haines des luttes de faction du siècle précédent.
Les récits du Quattrocento qui évoquent le complot réussi de 1435 parlent généralement de tyrannicide. Exprimant un avis largement repris par l’historiographie postérieure, Giovanni Simonetta explique les faits par le ressentiment du peuple contre Battista Chiavelli, tyrannique et dépravé. Le qualificatif de tyran lui permet surtout de justifier la brève prise de contrôle de Fabriano par Francesco Sforza, son héros, peu après les événements. Un tel jugement, comparable à celui pesant sur Corrado III Trinci, éliminé quatre ans plus tard, réduit la fin d’un mode d’organisation politique et d’un pouvoir familial à une simple responsabilité personnelle. Elle dissimule autant les antagonismes au sein des élites locales que les profonds changements qui s’opèrent alors à l’échelle de la péninsule, avec le renforcement des Etats pontificaux et la simplification de la carte des Etats territoriaux.
En 1435, la seigneurie s’effondre à la suite d’un tyrannicide et l’élimination programmée de la plupart des héritiers mâles de Tomaso. Un bref récit anonyme de la fin du xve siècle est la source principale de l’événement. Alors qu’elle s’était réunie dans la collégiale San Venanzio pour entendre la messe, la famille Chiavelli est exterminée. Une traque est organisée à travers la ville, qui se conclue par le meurtre de plusieurs enfants. Deux fils de Tommaso, Nolfo et Guido, se trouvent alors de la ville et survivent. Quatre autres périssent, tout comme leur père et six des fils de Battista. Montrant une perception claire de la nature collective de la seigneurie des Chiavelli, Ser Guerriero da Gubbio note sobrement dans sa Cronaca : “In l’anno 1435 li homini di Fabriano amazaro li loro signori vecchi et gioveni”. La présence dans la Marche d’Ancône de Francesco Sforza, auquel la commune se donne pour un temps, a pu aider les conjurés à passer à l’action.
Désireuse d’éviter la renaissance de la “tyrannie” et de décourager tout retour d’un des membres de la famille, la papauté saisit les biens de cette dernière, en attribue une large part à la commune (1444), fait vendre les autres (1457).
Città del Vaticano, Archivio Segreto Vaticano, Reg. Vat. 348; Fabriano, Archivio storico comunale : reg. 1431 (comptes de la commune, 1412-1416); carte diplomatiche, busta XII, n°527 (vicariat sur Serra San Quirico remis par les émissaires du concile de Constance, à Camerino, décembre 1415); busta XII, n°530 (vicariat de septembre 1419) ; sez. Cancelleria, riformanze, I, fol. 19r; II, foll. 1r, 4r; VIII, foll. 157v-159r (inventaire du palais en 1449).
G. Avarucci, U. Paoli (a cura di), Lo statuto comunale di Fabriano (1415), Fabriano, 1999; Commissioni di Rinaldo degli Albizzi per il comune di Firenze dal mcccxcix al mccccxxxiii, Firenze, 1869, vol. I p. XXX (Chiavello à Città di Castello); vol. II, 1869, p. 378 (Battista aux côtés de Giovanni da Varano, 1425); Cronaca di ser Guerriero da Gubbio, dall’anno MCCCL all’anno MCCCCLXXII, a cura di G. Mazzatinti (R. I. S.2, 21/4), Città di Castello, 1902, p. 51; A. Cutolo, Re Ladislao d’Angiò Durazzo, Napoli, 1969 (1a ed.: 1936), p. 378; nota 182 pp. 479-486 (texte de la paix de Ladislas de Durazzo avec Florence en 1414); G. De Minicis (a cura di), Cronache della città di Fermo. Documenti di storia italiana pubblicati a cura della R. Deputazione sugli studi di storia patria per le provincie di Toscana, dell’Umbria e della Marche, t. IV, Firenze, 1870, p. 30; R. Sassi, Un’ antica narrazione inedita dell’eccidio dei Chiavelli, in Studia Picena, vol. VIII (1932), pp. 221-233; Id., Documenti chiavelleschi. Fonti per la storia delle Marche, Ancona, 1955, p. 75; G. Simonetta, Rerum gestarum Francisci Sfortiae mediolanensium ducis. Commentarii, a cura di G. Soranzo, (R. I. S.2, 21/2), Bologna, 1924, pp. 59-60 (récit du tyrannicide); A. Theiner, Codex diplomaticus dominii temporalis S. Sedis, Roma, 1862; t. III, p. 281; A. Zonghi (a cura di), Statuta artis lanae terrae Fabriani (1369-1674). Documenti storici fabrianesi, Fabriano, 1880.
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