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Jean-Baptiste Delzant
† 1434
Gentilpandolfo (G. P.) et Berardo (B.), nés d’un premier mariage, apparaissent dans la documentation au cours des années 1390, aux côtés de leur père Rodolfo et de leur grand-père Gentile. Venanzio (V.), Piergentile (P. G.) et Giovanni (Gio.), qui sont présentés par leur père comme issus d’un second mariage (Gio. est un fils naturel légitimé), entrent en scène au cours de la décennie suivante. A l’exception de V., mort précocement, ils disparaissent tous en 1433-1434, lors des évènements qui provoquent la fin (provisoire) de la domination familiale.
Les da Varano dominent un vaste agrégat territorial composé de terre et de castra. Ils sont propriétaires de nombreuses tours et forteresses dans le contado de Camerino, qui se trouve ainsi verrouillé par la famille. Ils ont encore de vastes propriétés agricoles et possèdent en indivision des droits dans plusieurs castra des environs. Ces possessions sont le fondement de leur puissance. Ils étendent leur domination en se faisant remettre temporairement les seigneuries de plusieurs villes. Ils profitent du contexte troublé du Grand Schisme, des guerres endémiques et de la présence récurrente de compagnies de mercenaires pour s’imposer comme les protecteurs de dizaines de castra, dont ils n’hésitent pas à s’emparer par la force si nécessaire. L’élection de Martin V et la reconstruction des Etats pontificaux, ainsi que l’émergence de nouveaux acteurs de grande envergure modifient les équilibres politiques et mettent fin à une construction territoriale instable comme celle des da Varano.
Pour une partie des territoires qu’ils contrôlent, les da Varano obtiennent une légitimation pontificale. En 1396, Gentile III est fait vicaire au temporel de Tolentino (T.), San Ginesio (S. G.) et neuf autres terrae et castri, avec son fils Rodolfo et ses petits-fils G. P. et B. Les deux hommes sont également bénéficiaires avec leur père, en 1400, de la concession «in feudum perpetuum» de T. et S. G., et de celle en vicariat de Penne S. Giovanni dans le dioc. de Fermo. En 1407, les cinq fils de Rodolfo prêtent serment avec lui lors de la remise du vicariat de Montefortino. Les da Varano suivent de prêt les épisodes de la résolution du Schisme et se font confirmer par le concile de Constance les gouvernements (Camerino, Colmurano), fiefs (T. et S. G.) et vicariats (Montecchio, Belforte, Sarnano, Amandola, Penne S. Gio., Monte San Martino, Gualdo, Visso, Cerreponte) qui leur ont été remis précédemment à tous les six par l’Eglise (tous ces lieux sont inclus dans le vicariat de 1396, qui comportait en plus Monte Santo). D’autres terres échappent au contrôle de Rodolfo III et de ses fils, qui s’attachent ensuite à les reconquérir et à obtenir une nouvelle reconnaissance officielle de leur domination. Dès 1418, les six hommes reçoivent de Martin V le gouvernement de Camerino et la confirmation des fiefs de T. et S. G. En 1433, Gio. est gouverneur de Sarnano (une des bases de l’emprise territoriale de la famille depuis le début du xive siècle). Le castrum est inclus dans la juridiction de son vicariat apostolique et il en nomme le podestat.
Ces concessions, dont l’étendue varie fortement dans le temps, sont loin de concerner l’ensemble des lieux sur lesquels les da Varano exercent leur influence. A deux reprises au moins à la fin du xive siècle, Macerata s’est remise entre les mains des da Varano. G. P. en est seigneur en 1413 et y fait publier un ban interdisant le port d’armes. En 1424, au moment de la mort de Rodolfo, les quatre frères tentent de se partager les espaces que domine la famille, ce qui représente 56 castra et 3 terre.
Que le pouvoir pontifical leur ait remis le gouvernement la cité, qu’ils tiennent cette dernière en vicariat ou se contentent d’un pouvoir de facto, les da Varano exercent un contrôle sur le district de Camerino et doivent défendre les droits de la communauté civique. B. se rend ainsi aux confins de Camerino et de Foligno pour régler pacifiquement un contentieux sur la délimitation des territoires des deux cités. En outre, au début du xve siècle, vraisemblablement en tant que seigneur de la ville, un da Varano doit remettre un étendard au recteur de la Marche d’Ancône récemment investi (Paolo Orsini puis Lodovico Migliorati). La cérémonie, qui a lieu à la rencontre des territoires de Camerino et de Foligno, est ponctuée par la formule: «Nui te consignamo questo gonfalone in signo delli confini de la Marchia et del Duchato et tra Camerino et Fuligni». Elle atteste le rôle de la famille dans la défense des espaces juridiquement définis, ainsi que son poids politique puisqu’elle participe à la prise de fonction d’un haut officier pontifical auquel elle désigne l’étendue de sa juridiction.
L’importance des fils de Rodolfo tient également aux espaces sur lesquels ils peuvent peser par l’intermédiaire d’autres membres de la famille. Après la mort de Braccio da Montone en 1424, ils tentent d’interférer dans les négociations entre le pape et Pérouse pour défendre les intérêts de leur sœur Niccolina, seconde épouse de Braccio, de leur neveu Carlo et les leurs. Ils échouent. B. et Gio. interviennent ensuite auprès du pape afin que Niccolina obtienne le vicariat pontifical sur Città di Castello, qu’elle tenait à la suite de son mari. De l’argent est promis mais le pape refuse. Filippo Maria Visconti, à qui Niccola a demandé de l’aide, se dérobe. En 1429, les territoires administrés par la veuve sont remis au pontife.
Les espaces contrôlés à un titre ou à un autre s’insèrent dans des logiques suprarégionales et deviennent un enjeu stratégique à l’échelle de l’Italie tout entière. En 1425, la Seigneurie de Florence se plaint auprès de Martin V de ce que son légat à Pérouse ait ordonné à Gio. d’interdire le passage sur ses terres au condottière Ardiccione da Carrara, employé par Florence contre Milan.
La tradition attribue aux da Varano d’anciennes origines féodales, ce qu’aucun document ne vient confirmer. Les membres de la famille apparaissent parmi les représentants éminents de l’aristocratie urbaine et assument d’importantes charges au sein de la commune au cours du xiiie siècle. Au siècle suivant, ils appartiennent au réseau guelfe d’Italie centrale. Malgré les tensions récurrentes qui marquent leurs relations avec la papauté romaine, les da Varano mettent en avant leur engagement guelfe et se présentent comme des défenseurs de l’Eglise.
Les sources pontificales des années 1400 désignent Rodolfo et ses deux aînés comme des «nobiles viri», «domicelli» de Camerino. Un document notarié rédigé à Camerino en 1429 parle en revanche des «magnifici et pontentes domini» G. P., B., P. G. et Gio.
B. est employé comme «non nullarum gentium nostrarum armingerarum capitaneus» par Grégoire XII. Il est également au service de Ladislas de Hongrie puis de la sœur de ce dernier, la reine Jeanne II (1414). S’il occupe toujours la fonction de capitaine («magnificus vir et strenuus armorum capitaneus»), il est en outre «consiliarius» et jouit un temps du titre de vice-roi de la Val di Crati et de la terre du Jourdain, en Calabre («vicemregens provincie Vallis Gratis et Terrae Iordanae»). Pour les ambassadeurs florentins qui le rencontrent à Rome en octobre 1421, B. est «signore di Camerino». Le terme est employé au pluriel par les mêmes émissaires pour désigner l’ensemble des membres de la famille.
Gio. est nommé par son père, qui est vicaire pontifical des lieux, «gubernator et administrator atque protector terre Cerreti Pontis […] et castri terre Montessancti». En 1433, Sarnano est placé sous le contrôle d’un podestat qui agit «pro magnifico et excelso domino Iohanne de Varano domino gubernatore et defensore dicte terre Sernani pro sancta Romana Ecclesia et domino nostro papa vicario generali».
Les 5 hommes sont associés au pouvoir dès qu’ils en ont l’âge. En 1398, Gentile (III) est sur le point de mourir. Seigneur de Montecchio, il recommande ses héritiers à la commune du castrum et cite son fils Rodolfo (III) ainsi que ses deux petits-fils G. P. et B. Le principe adopté est celui de la transmission héréditaire du pouvoir mais il se heurte à la mort de Rodolfo aux fortes rivalités qui opposent les fils des deux mariages.
R. et ses fils mettent leurs armes au service de la papauté romaine, ce dont ils tirent bien des avantages. B. se distingue par le nombre et l’importance de ses embauches comme condottière, titre auquel il apparaît à de nombreuses reprises dans la documentation pontificale. Il sait se rendre utile tant par les condotte qu’il obtient que par l’argent qu’il prête aux pontifes. Il est créditeur de sommes importantes qui lui permettent d’obtenir l’assignation de plusieurs cens (y compris celui du par son père) ou la remise en gage de villes placées sous l’autorité du pape (Civitanova, 1404). En 1407, la condotta passée avec la Chambre apostolique engage B. ainsi que son père et son frère G. P.
Les fils de Rodolfo bénéficient régulièrement avec leur père des concessions pontificales (vicariat, fief ou gouvernement) qui légitiment leur domination territoriale. L’obtention de ces charges est en partie due à un véritable lobbying et à une présence fréquente à la cour pontificale. Les da Varano sont mentionnés à l’une des sessions du concile de Constance (vede scheda «Rodolfo III») et à plusieurs reprises par des ambassadeurs florentins à la curie (B. à Rome, 1421; Gio. à Gallicano, 1424 puis à Rome en 1425). Gio. y apparaît flanqué de son neveu Rodolfo Angelo di Berardo. L’influence de la famille décline au moment de la réaffirmation du pouvoir pontifical, les da Varano ne faisant alors plus partie des hommes capables de fournir une aide militaire déterminante.
La domination des da Varano sur la cité ne fait pas disparaître les institutions du régime de Popolo. En 1400, la commune de Camerino demande à Boniface IX la confirmation des privilèges qui lui ont été concédés antérieurement, dans une supplique adressée conjointement en son nom et en celui des da Varano (Rodolfo, G. P. et B.). Les statuts rédigés vers 1406-1414, au moment de la présence de Ladislas de Hongrie en Italie centrale, confèrent un pouvoir écrasant à Rodolfo .
En 1418 Martin V confirme de nouveau les vieux privilèges (administration de la justice et étendue territoriale de la juridiction) au podestat, à la commune et au Popolo de Camerino. La demande a cette fois été faite par Rodolfo, au nom de la commune et du Popolo. Le seigneur intervient donc auprès du pape comme représentant d’institutions communales qu’il dit protéger, mais qu’il affaiblit en réalité puisqu’il obtient du pontife le même jour, pour ses fils et lui-même, les «regimen, gubernationem et administrationem civitatis […] Camerinensis». La tension entre, d’une part, la permanence des institutions et la défense des prérogatives communales, et, d’autre part, le pouvoir exercé par les da Varano sur la ville se retrouve dans une nouvelle rédaction des statuts, en 1424. Le rôle des Arts, en effet, y est réaffirmé. Le podestat est chargé de faire observer les décisions de ces derniers, qui prévalent sur les statuts communaux (lib. I, rub. 169: “Et quod Capitaneus, propter deliberationes Artium, possint et debeant pro utilitate comunis suspendere et tollere statuta comunis dictae civitatis […].”) Néanmoins, les fils et petits-fils de R. jouissent d’un statut privilégié. Ils conservent le droit dérogatoire de porter des armes de jour comme de nuit, à la différence de l’ensemble des habitants de la cité (livre III, rub. 136). Un accord passé entre les quatre frères en 1424 indique qu’ils jouissent d’un droit de grâce, au civil comme au pénal.
En 1429, il apparaît clairement que le pouvoir familial n’est ni un simple pouvoir de fait, ni un pouvoir issu de la seule délégation de l’autorité pontificale. En présence de l’évêque et des capitaines des Arts, G. P., B., P. G. et Gio. se partagent 56 castra (cf. infra). L’acte notarié précise qu’«ex forma Statutorum et ordinamentorum Comunis», les «potestas, auctoritas et bayla» ont été attribuées aux 5 frères pour les «regimen, custodia et gubernatio» de la cité. Pour les grandes décisions politiques, cela revient à faire des institutions communales et populaires des exécutants de leurs décisions
Le pouvoir des da Varano est un pouvoir collectif. Cela est vrai pour le gouvernement de la cité comme pour celui des terres dominées, bien qu’avec de nettes différences. Les concessions pontificales réalisées depuis le milieu des années 1390 mettent bien en lumière ce phénomène. Une lettre de 1419 écrite par Martin V à l’occasion de la paix conclue entre Nocera et les “dilectos filios nobiles viros Rodolphum de Varano eiusque filios domicellos Camerinenses, Communitatesque ac Universitates et homines subditos” va dans la même direction, tout comme le paiement qu’effectuent l’année suivante “Rodolphus de Varano et filii” “pro censu Civitatis Camerinensis, et certarum aliarum Terrarum et locorum”. Deux aspects de ce pouvoir collectif sont saillants. Le premier est celui de la prééminence du chef de famille tant que Rodolfo est en vie, et de la délégation du pouvoir détenu sur telle ou telle entité, du père à ses fils. En janvier 1424, Gio. rend une sentence dans un litige opposant Monte Santo à Cerreto au sujet de leurs confins : il agit en tant que «gubernator et administrator atque protector terre Cerreti Pontis […] et castri terre Montissancti […] ex commissione et mandato et delegatione michi verbo facta per magnificum et potentem dominum Rodulfum de Camereno vicarium generalem in temporalibus dictarum terrarum et locorumet hominum ipsius specialiter deputatum per […] dominum Martinum […] papa quintum […]». Le système du vicariat in temporalibus, qui peut être concédé collectivement et permet à son détenteur de nommer des lieutenants dans les communautés sur lesquelles il a autorité, s’adapte bien à un pouvoir familial et hiérarchisé.
Le second aspect est lié à la fragilité de l’équilibre au sein de la fratrie. Bien qu’il ne soit pas l’aîné, B. semble d’abord y occuper une place à part. Après la mort de son père, il effectue le paiement du cens «nomine suo proprio et aliorum suorum germanorum». De fait, l’importance de ses responsabilités militaires lui permet de devenir, dans les années 1400, le créditeur de son père, pour lequel il avance le cens du vicariat pontifical ou paye les troupes de la commune. Les dettes ne sont pas acquittées et mettent B. en situation favorable au moment du partage de l’héritage de Rodolfo. La disparition de leur père place pourtant les 4 frères dans une situation de rivalité qu’ils ne parviennent pas à apaiser (cf. infra). Si les 56 castra sont chacun attribués à l’un des frères, l’acte de 1429 précise que le «regimen et gubernatio» de Camerino, lui, «remaneat communia et communes».
B. fait carrière comme homme de guerre au service des papes romains, puis de Ladislas de Duras qui s’est violemment opposé à Grégoire XII. B. est employé par le roi de Hongrie comme ambassadeur et fait partie des témoins présents dans le camp royal installé près d’Assise en 1414, lorsqu’une paix est conclue avec Florence. Dans le même document, son nom figure avec ceux de son père et de G. P., en troisième position des «nomina colligatorum et adherentium, et sequacium et recomandatorum» de Ladislas (après le duc de Milan et Carlo Malatesta). B. sert ensuite Jeanne II, (1414).
Les da Varano constituent une ligue en 1416 avec Braccio da Montone (jadis ennemi de Ladislas) et Lodovico Migliorati, leur ancien adversaire, pour faire face aux ambitions des Malatesta. Battu et détenu comme otage, Carlo Malatesta est retenu à Camerino. B. continue ensuite à se battre aux côtés de Braccio et l’accompagne notamment lors de la brève occupation de Rome en 1417. Fréquemment en relation avec les plus grands acteurs de la péninsule, Berardo remplit différentes missions diplomatiques. En novembre 1421, il est chargé de l’une d’elles par les émissaires florentins qui tentent d’obtenir un accord entre les partis angevins et aragonais pour la succession du trône de Naples. B. est envoyé auprès des Sforza, alors au service du camp angevino-pontifical
De nombreux mariages étayent ces engagements politiques pragmatiques et changeants, scellant parfois des rapprochements fragiles. Paolo Guinigi, seigneur de Lucques, épouse Piacentina di Rodolfo en 1407. Il est un des soutiens politiques et militaires de Ladislas de Hongrie, dont B. devient à cette époque l’un des condottières. B. comme Paolo donnent à l’un de leurs garçons le prénom «Ladislao». En 1420, c’est à Braccio d’épouser une fille de Rodolfo, Niccolina, sœur de P. G. et veuve de Galeotto Malatesta. Les alliances matrimoniales avec cette dernière famille sont d’ailleurs nombreuses. Plus important peut-être est le mariage de Rodolfo Angelo, fils de B., avec Violante di Gherardo Appiani, seigneur de Piombino, fille d’une sœur de Martin V.
Les fils de Rodolfo poursuivent les alliances conclues par leur père en Italie centrale. G. P. donne sa fille Orsolina comme épouse à Ugo di Corrado (III) Trinci, dont l’oncle Niccolò, seigneur défunt de Foligno, était mariée à Tora, une fille de Rodolfo.
A partir des années 1420, des rapprochements sont opérés avec Milan. En 1425, Gio. est à la solde de Florence puis passe au service de Filippo Maria Visconti (200 lances), suivant l’exemple de son frère B. Gio. participe aux affrontements contre la Ligue et les Florentins et le duc demande à ses adversaires toscans, en décembre 1426, que ces derniers accordent leur pardon aux hommes qui les ont été malmenés pendant la guerre. Parmi eux sont cités «que’ da Camerino». L’année suivante, concluant une paix avec Amedeo VIII de Savoie, Filippo Maria Visconti mentionne ses «collegati ed aderenti» : en sixième position figurent les «fratres de Varano, Camarini etc.» et en huitième position leur sœur «domina Nicola de Fortebraciis cum comite Carlo nato suo». Peut-être en guise d’assurance contre ses frères, P. G. prévoit dans son testament de laisser plusieurs terres au duc.
Les quatre frères obtiennent un nombre important de titres de «gouverneur» ou de «protecteur» dans les terra du contado.
Les da Varano possèdent des droits de patronage sur plusieurs églises du contado. Ils sont, notamment, collectivement patrons de la plebs de Favera (si vede la scheda “Gentile II da Varano”). En 1402, à la suite du décès du plébain Luca Giovanuti da Varano, un nouveau clerc est nommé par Rodolfo. Le seigneur annonce son choix en son nom et en celui de G. P., B., P. G. et V. , dont il est “legitimus administrator”. Ceux-ci confirment ensuite son choix.
Les liens avec l’ecclesia matrix de Camerino, matérialisés par le passage couvert qui relie directement cette dernière au palais familial voisin, restent étroits. Les da Varano y possèdent une chapelle, dans le transept, où Rodolfo a demandé à être enterré comme plusieurs de ses ancêtres (testament de 1418). Il s’agit d’un haut lieu de la mémoire dynastique où Niccolina élit elle aussi sépulture afin de pouvoir reposer «à côté de ses parents». Des membres de la famille occupent certainement les principaux chapitres de la cité, mais les informations font à ce jour totalement défaut. L’accord de 1424 entre les quatre frères laisse enfin supposer que les 4 hommes influent sur la provision des bénéfices ecclésiastiques de la cité.
L’historiographie ancienne avance qu’un autre fils de Rodolfo, Antonio, est abbé de l’abbaye cistercienne de Chiaravalle sul Fiastra.
Les rivalités avaient déchiré la famille au milieu des années 1380 pour la succession des frères Rodolfo II et Gio. Elles resurgissent entre leurs petits-neveux, sous des formes différentes mais avec un point commun, l’absence de règle de succession clairement établie au sein de la famille. Le testament de Rodolfo (1418) prévoit une forme répartition du pouvoir (attribution des terre) et des ressources (attribution des moulins), tout en mentionnant un vague gouvernement commun de la cité. Du vivant même de leur père, ses fils tentent de parvenir entre eux à un accord plus précis (1424). Ils envisagent de très nombreux domaines afin de maintenir un strict équilibre entre eux. Quelques-unes des mesures peuvent être énoncées ici. Sur le plan religieux, chacun s’engage à ne pas intervenir dans la provision des bénéfices ecclésiastiques. Sur le plan financier, les sommes dues pour la taille et le vicariat doivent être versées en commun, tout comme doivent être assumées ensemble les dépenses de la guerre ; les impôts perçus doivent être versés dans une caisse commune et les entrées de la cité et de son contado partagées équitablement. Sur le plan de l’administration, les châtelains et les officiers des terres soumises doivent être tirés au sort et prêter serment entre les mains des quatre hommes ; un prisonnier ne peut être gracié et un sauf-conduit émis qu’après l’accord unanime. Sur le plan patrimonial, les rocche doivent être partagées en fonction de leur valeur et des revenus qui y sont associés. Tout cet équilibre doit être préservé grâce à l’adoption du principe de succession patrilinéaire et de primogéniture, puisqu’au cas où un des quatre frères mourrait, son fils aîné hériterait de lui. L’ensemble des dispositifs vise un partage strictement équitable du pouvoir et des ressources ; il suppose l’existence dans la durée d’une unanimité et d’une bonne entente pourtant absentes dès le départ. Il se solde logiquement par un cuisant échec. Confirmé par Rodolfo sur son lit de mort, l’accord qui devait permettre la gestion commune des territoires se heurte au partage des castra et autres lieux. En 1429, ces derniers sont repartis en quatre lots attribués par tirage au sort. Les recettes fiscales liées à chacune des parts ont été mal évaluées et un nouveau partage supposément plus équitable est prononcé par le cardinal Casino en 1430. Mais les tensions ne disparaissent pas. Lorsque Corrado Trinci remet Visso à la commune de Norcia en 1433, il est prévu que la terra soit ensuite confiée à P. G., alors emprisonné, ou à son fils Rodolfo, mais en aucun cas à ses frères G. P. et B. Ces oppositions se soldent par l’élimination des cadets par leurs aînés, puis par la disparition de ceux-ci (cf. infra).
L’épisode du double fratricide ourdi par B. et G. P. (cf. infra) jouit d’une petite postérité littéraire : il fournit à Lodovico Domenichi (Historia varia, 1564) la trame d’un de ses brefs récits, illustrant la châtiment des cruels. Auparavant, dans le De varietate fortunae, Poggio Bracciolini cite la mort de P. G. comme exemple de l’inconstance de la Fortune .
B. et G. P. organisent la mise à mort de leurs demi-frères, G. et P. G. Le premier est assassiné à Camerino en août 1433, le second est arrêté par le cardinal Vitelleschi, puis décapité en septembre à Recanati. L’année suivante, les aînés trouvent la mort à leur tour, G. P. étant tué lors d’une révolte à Camerino. Cette série d’événements connaît un certain écho dans les chroniques du temps. Le récit qu’en fait ser Guerriero da Gubbio réunit un ensemble de facteurs explicatifs, même s’il ne présente que trois seigneurs et qu’il fait mourir B. à Camerino : les fils de ce dernier, jugeant qu’ils ont trop peu de parts du patrimoine familial, convainquent leur père d’organiser le double homicide. La révolte qui suit est due, conformément aux explications classiques de ce type d’événement, à une aspiration à la liberté du «popolo de Camerino» (qui «tagliò a pezi signore Berardo […] et gridaro (sic) Viva la libertà»). Le même schéma est utilisé dans d’autres chroniques pour expliquer l’extermination des Chiavelli en 1435.
Un notaire de Fermo, Antonio di Niccolò, désigne lui l’un des éléments essentiels de l’effondrement de la seigneurie : Francesco Sforza. Ce dernier affaiblit considérablement la position des da Varano en s’emparant de plusieurs de leurs castra (Sant’Angelo in Pontano et Gualdo, janvier 1434) et en rendant possible les soulèvements de S. G., Montecchio et Monte Milone. Quelques mois plus tard Montefortino se donne à Sforza. Selon Antonio di Niccolò, c’est en tentant de réprimer le soulèvement de T. que Berardo est tué. Le mouvement s’achève à Camerino en octobre, où G. P. est décapité avant que plusieurs de ses fils et de ceux de B. soient tués «per populum». Plus que dans la révolte d’un peuple horrifié par le fratricide et aspirant à la liberté, c’est dans le bouleversement de l’équilibre régional induit par l’irruption de nouveaux grands acteurs et la simplification de la carte politique de la péninsule qu’il faut chercher les raisons profondes du premier effondrement de la seigneurie des da Varano.
Après un intervalle de neuf ans durant lequel la cité est gouvernée par une commune populaire et par les Arts, la famille restaure sa domination en 1443. Elisabetta Malatesta, veuve de P. G., est réinstallée avec son fils Rodolfo (IV) et son neveu Giulio Cesare, fils de Gio. Le parti des da Varano bénéficie pour cela de l’aide de Carlo Fortebracci, neveu par alliance d’Elisabetta.
Città del Vaticano, Archivio Segreto, Reg. Vat., 316, Reg. Vat. 336, Reg. Vat. 348; Cam. Ap., Intr. et Ex. 382; Parma, Archivio di Stato, Codice varanesco foll. 320v-322r (testament de R., 1418); 326r-327v (accord entre les 4 fils de R., 1424); 338v-339v (sentence de partage des castra, 1430); 350r-351r (divisio des castra par tirage au sort, 1429).
G. Avarucci, Un frammento di statuto della fine del secolo XIV e Gentile III da Varano, in Anni della facoltà di lettere e filosofia (Universtià di Macerata), vol. XVI (1983), pp. 647-668; Commissioni di Rinaldo degli Albizzi per il comune di Firenze dal mcccxcix al mccccxxxiii, Firenze, 1869, voll. I-III; Cronaca di ser Guerriero da Gubbio dall’anno mcccl all’anno mcccclxxii, a cura di G. Mazzatini, (R. I. S.2, t. XXI, 4), Città di Castello, 1902, p. 51; A. Cutolo, Re Ladislao d’Angiò Durazzo, Napoli, 1969 (1a ed.: 1936), note 182 pp. 479-486 (paix de Ladislas de Duras avec Florence en 1414); G. De Minicis (a cura di), Cronache della città di Fermo, Firenze (Documenti di Storia d’Italia, IV), 1870; A. Fabretti, Note e documenti raccolti e pubblicati da Ariodante Fabretti che servono ad illustrare le biografie dei capitani venturieri dell’Umbria, Montepulciano, 1842; B. Feliciangeli, L’itinerario d’Isabella d’Este Gonzaga attraverso la Marca e l’Umbria nell’aprile 1494, nota D : Piòraco, in Atti e Memorie della Regia Deputazione di Storia Patria per le Marche, vol. VIII (1912), note 2, p. 80 (Memoria d’un notaire de sur les faits de 1433-1434); F. Isoldi (a cura di), Il diario romano di Antonio di Pietro dello Schiavo dal 19 ottobre 1404 al 25 settembre 1417 (R. I. S.2, t. XXIV, 5), Città di Castello, 1916-1917; L. Osio (a cura di), Documenti diplomatici tratti dagli archivj milanesi, vol. II, Milano, 1869, p. 348; F. Patrizi Forti, Memorie storiche di Norcia. Libri otto, Norcia, 1869 (rist. Bologna, 1968), pp. 209-211; A. Sansi (ed.), Documenti storici inediti in sussidio allo studio delle memorie umbre, Foligno, 1879; M. Sensi, Castellari e castelli dirimpettai : l’esempio di Talogna-Landolina tra Umbria e Marche, in Id., Vita di pietà e vita civile di un altopino tra Umbria e Marche (secc. XI-XVI), Roma (Storia e Letteratura. Raccolta di Studi e Testi, 159), 1984, pp. 40-41.
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