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Jean-Baptiste Delzant
† 1399
Berardo (II) meurt avant son père Gentile (II) et laisse quatre garçons: Rodolfo (II), l’aîné, Giovanni, le cadet, Venanzio et Gentile (III), le benjamin. En 1350, Giovanni est déjà adoubé mais Gentile, sans doute encore trop jeune, n’est même pas qualifié de “nobiles”, de “dominus” ou de “domicellus”. Tous deux apparaissent associés à leurs frères (Rodolfo occupant seul le premier plan) dans la documentation évoquant la situation de Camerino et le poids que font peser sur elles les quatre hommes au début des années 1370. Il faut certainement faire remonter à la décennie précédente l’accroissement du rôle militaire et politique des deux frères.
Les quatre frères possèdent de nombreux lieux fortifiés, terres et droits dans le district de Camerino comme dans les territoires avoisinants. Une partie de ce patrimoine hérité de Gentile II est tenue en indivision. Dans la lignée de leurs prédécesseurs, les fils de Berardo étendent leur emprise sur de nombreux points d’un vaste espace, dans ce qu’il faut comprendre à la fois comme une affirmation au sein d’une fratrie que des rivalités traversent, et comme le renforcement de la puissance familiale. Ils utilisent pour cela des moyens diversifiés, allant du simple achat au coup de force, en passant par la permutation et la donation plus ou moins librement consenties ou encore l’intimidation aboutissant à l’obtention de magistratures dans des petites communes.
En 1371, Anglic Grimoard, vicaire général du pape, remarque que Gen. est “multum conatur dilatare fimbras”. Pour renforcer sa position, ce dernier tente sans succès d’obtenir du vicaire l’autorisation de fortifier un village des environs de Camerino “ubi domum habet”. Il échoue là mais renforce ses positions ailleurs, parfois grâce à des pressions ou de faveurs douteuses. Une vente en fief d’un château du diocèse de Senigallia, réalisée par l’évêque de cette cité au profit de Gent., est cassée par Urbain V car contraire au droit canon. Cinq ans après la mort du pontife, en 1375, la place forte n’est toujours pas resituée. Face à son frère, Gio. n’est pas en reste. Il possède le verrou d’une des vallées du district, le château de Beldiletto (cité en 1371). Au début des années 1380, il déclare avoir fait construire plusieurs tours et forteresses dans le district, prétendument pour défendre ce dernier, “au nom de la commune et du peuple de Camerino, au nom de tous les membres de la famille da Varano et pour servir l’Eglise”. La mainmise sur des castra stratégiques que la commune de Camerino s’efforce de contrôler, de façon récurrente, depuis le milieu du xiiie siècle, ainsi que l’édification de nouvelles places fortes permettent en réalité à Gio. et aux siens d’exercer une forte pression sur la cité, de l’étouffer au moins autant que de la protéger. Grimoard indique que le deuxième fils de Berardo a fait construire une imposante forteresse, Sentino, à proximité de Camerino. Il dit d’elle que “bene est depositum ad fortiter urgendum Camerinum”. Il faut se souvenir que Sentino faisait déjà partie des rocche mentionnées des années auparavant dans la Descriptio Marchiae d’Albornoz comme étant tenues par Rodolfo et ses frères. Les quatre hommes da Varano partagent avec la commune de Camerino le contrôle d’autres lieux, selon des modalités peu claires aujourd’hui
Accusés par Albornoz d’exercer une tyrannie sur Camerino et ses environs (vede scheda Rodolfo III da Varano), les fils de Berardo voient ensuite leur domination territoriale partiellement légitimée par la papauté. En 1372, le vicariat au temporel détenu par Rodolfo sur San Ginesio et Tolentino (1re mention en 1371, pour les deux lieux sur lesquels s’exerce de plus longue date l’influence de la famille, vedi schede Gentile II e Rodolfo II Varano) devient transmissible à ses trois frères. L’année suivante, le même Rodolfo est cité par Grégoire XI comme vicaire in temporalibus à Camerino mais la Chambre apostolique enregistre en 1375 le versement d’un cens par Gen., qualifié de “vicaire de la cité et du district de Camerino”. Le document ne précise pas si la charge est tenue collectivement par plusieurs des frères, ce qui est tout à fait possible. La défense du territoire fait partie des attributions des vicaires pontificaux au temporel et avec l’obtention du titre, les da Varano justifient a posteriori leur stratégie de contrôle du territoire. Durant la guerre des Huit saints (1375-1378), Gen. et Gio. choisissent le camp du pape, contrairement à leurs deux frères. Pour les récompenser, Grégoire XI leur remet le vicariat sur Tolentino et S. Ginesio, dont il prive Rodolfo (février 1377).
Le conflit qui oppose la papauté à de nombreuses villes du centre de l’Italie puis le début du Grand Schisme offrent de multiples opportunités de conquêtes. Au nom de la lutte contre les rebelles à l’Eglise, en 1376, Gen. envahit les territoires de deux alliés de Florence, Matelica et Serra San Quirico. Plus généralement, la situation politico-militaire du dernier quart du xive siècle favorise pour une part les tentatives d’expansion territoriale, la présence menaçante des compagnies de mercenaires dans la Marche incitant de nombreuses communautés, urbaines comme rurales, à rechercher des protecteurs. En 1380, une convention est passée entre les da Varano (“le puissant seigneur Rodolfo et ses frères”) et plusieurs capitaines de la Compagnie de Rose. Contre rétribution, ces derniers s’engagent à épargner ce qui est désigné comme les “terres” de Rodolfo : sont énumérés trois cités (Camerino, Numana et Macerata), de nombreux terre et castra des diocèses de Camerino, Fermo et Macerata ainsi que des places fortes du duché de Spolète (Monte Santo et Cerreto).
Plusieurs raisons empêchent cependant de voir dans cet agrégat hétérogène et discontinu, gouverné selon des modalités diverses, un Etat territorial se renforçant de façon linéaire au fil du temps. Certaines entités politiques ont été concédées en vicariat par la papauté, pour une durée déterminée, d’autres ont été soumises par les armes, certaines, plus modestes, ont été achetées, d’autres encore ont choisi, largement sous la contrainte, de se placer provisoirement sous la protection d’un ou plusieurs des membres de la famille et de déléguer à cette fin un certain nombre de prérogatives. Ce dernier cas est celui de Macerata. Gio. en apparaît comme seigneur en janvier 1385 lorsqu’il prévoit de transmettre “lu regemento et la gubernatione de la cipta de Macerata, con omne aribitrio et pieno dominio e libera podesta” à son neveu. Il précise que Rodolfo peut la “goubernare et fructare et defendere in quella forma che li piacera”. Les luttes au sein des élites des communautés voisines offrent d’autres opportunités d’exercer un pouvoir hors de Camerino, une faction faisant appel aux da Varano pour prendre le pas sur sa rivale (castrum Sant’Angelo, 1394).
D’autre part, les diverses composantes des prétendues “terres” de Rodolfo sont dominées par différents membres de la famille, dont les intérêts sont loin converger et auxquels elles peuvent se soustraire au bénéfice d’un autre da Varano ou d’un tiers (cf. infra). Dans la seconde moitié des années 1380, à la suite de la mort de Rodolfo II et de Gio., ces terres savent jouer des rivalités entre héritiers pour défendre leurs propres positions. Une chronique de Fermo composée dans la première moitié du Quattrocento évoque ces situations. Gouverné par Rodolfo II en 1363, Montolmo se révolte contre le neveu de ce dernier, Gentile di Venanzio, en 1388. Tolentino fait de même l’année suivante, à un moment où Gentile di Venanzio conteste encore la domination exercée par Gen. et son fils Rodolfo sur Camerino.
Enfin, ces épisodes conduisent à rappeler que le contrôle exercé par les da Varano sur tel ou tel espace est soumis à d’importantes variations dans le temps. S. Ginesio se rebelle en 1386, avant de retomber peu après sous la domination des da Varano, quand Macerata s’affranchit durablement de la tutelle de Rodolfo. En novembre 1393, lors de la conclusion d’une trêve entre plusieurs seigneurs et cités de la Marche d’Ancône, Gen. et Rodolfo apparaissent dans un camp, les “magnifici comuni di Racanate, Macerata, Osimo […]” dans un autre.
Lorsque l’emprise effective sur un lieu perdure, sa légitimation peut connaître de profonds changements. Le pontificat de Boniface IX apporte cependant une plus grande stabilité à l’agrégat territorial et voit la concession plus durable d’un plus grand nombre de terres en vicariat. En 1387 et 1388, Gen. apparaît comme seigneur de Monte Santo (où réside un de ses vicaires) et de Cerreto. Il se dit prêt à restituer le premier au pape romain, au nom duquel il gouverne le castrum. En 1389 pourtant, il est condamné avec son fils par Urbain VI pour “tyrannice occupare ac detinere” Camerino, Esanatoglia, Sernano, Tolentino, Urbisaglia, six autres “terra et loca” de la Marche d’Ancône, ainsi que Monte Santo et Cerreto. L’année suivante, l’espace sur lequel la papauté romaine reconnaît que Gen. exerce une forme de contrôle (cf. infra) est composé de Camerino et de Tolentino, de 6 castra dans le diocèse de Camerino, de 4 dans celui de Fermo et de 3 dans celui de Spolète. En 1391, Andrea Tomacelli, recteur de la Marche, autorise Gen. à «tenir et gouverner les lieux et les terres» qu’il domine déjà avec son fils et ses petits-fils et s’engage à préserver «lu stato presente vostro». Le vicariat in temporalibus concédé en mars 1396 à Gen. et aux siens par Boniface IX concerne S. Ginesio et Tolentino, avec neuf autres terre et castri, mais n’inclut pas la cité de Camerino. Il comporte en revanche Monte Santo, dont un fragment de statuts de la fin du xive siècle cite bien Gen. comme vicaire pontifical. Il faut ajouter que le pardon accordé à la famille après la rébellion et donné au moment de l’octroi du vicariat de 1396 est étendu aux communautés partisanes des da Varano, c’est-à-dire à celles sur lesquelles ces derniers exercent une forme de pouvoir. En plus des terres concédées, figurent la cité de Camerino et neuf autres terre et castra, pour lesquels Gen. et ses fils n’ont donc pas reçu de légitimation pontificale.
La modification des statuts des communautés placées sous l’autorité des seigneurs est fréquente. Plus que d’une soumission, il s’agit le plus souvent d’une combinaison pragmatique d’autonomie locale et de pouvoirs reconnus au représentant du seigneur. Les liens avec les terres contrôlées sont plutôt lâches, se manifestant par de possibles prélèvements fiscaux, l’administration d’une partie de la justice et la reconnaissance de la position éminente du seigneur. Lorsqu’il sent qu’il va mourir, Gen. écrit au podestat, aux prieurs et à la commune de Montecchio (décembre 1398). Il leur recommande ses héritiers, son fils Rodolfo et deux fils de ce dernier, Gentilpandolfo et Berardo, leur demandant de porter à ces derniers “amour, fidélité et révérence”, en échange de quoi leur seront garanties liberté, absence de prélèvement, paix et justice. Lorsqu’il annonce à la commune la mort de son père, quelques mois plus tard, Rodolfo III parle de “vostro et moi paternale gubernatore”.
La tradition attribue aux da Varano d’anciennes origines féodales, ce qu’aucun document ne vient confirmer. Les membres de la famille apparaissent parmi les représentants éminents de l’aristocratie urbaine et assument d’importantes charges au sein de la commune au cours du xiiie siècle. Ils appartiennent au réseau guelfe d’Italie centrale et combattent contre les gibelins dans les années 1320. Rodolfo II, frère aîné de Gio. et Gen., se rallie à Albornoz, ce qui apporte des avantages substantiels à sa famille au milieu du xive siècle (vedi scheda Rodolfo II da Varano).
Dans un document notarié de 1354, Gio. est cité comme le “magnificus et potens miles dominus Iohannes domini Berardi de Camerino”. Gen. et lui sont simplement qualifiés de “nobiles viri […] milites Camerinensis” dans une lettre de Grégoire XI mais une missive des prieurs de Foligno de 1383 mentionne Gio. comme le “magnific[us] domin[us] domin[us] Iohann[es] Varanorum, dominorum de Camerino”.
En 1393, dans une convocation de Boniface IX à plusieurs seigneur d’Italie centrale, Gen. et son fils Rodolfo font partie des “domicelli Camerinensis et Esinensis diocesum”. La même année, le 9 novembre, en signant une trêve d’un an avec de plusieurs cités et seigneurs de la Marche d’Ancône, Gen. se présente en revanche comme “lu magnifico e potente Signore messer Gentile da Camerino”. Quatre ans plus tôt, à Monte Santo di Spoleto, il pouvait se prévaloir de titres encore plus flatteurs, ceux de “magnificus et excelsus dominus noster dominus Gentilis domini Berardi de Camereno gubernator, protector et defensor communis et hominum dicti castri pro Sancta Romana Ecclesia et supradicto domino nostro papa”.
A plusieurs reprises et sur de nombreux lieux, Gen. obtient la charge de vicaire pontifical au temporel.
Gio., peut-être accompagné de Gen., apparaît dans l’ombre de son frère aîné durant les légations du cardinal Albornoz. Au cours des années 1350, les représentants du pape dénoncent l’occupation illégale de plusieurs terres de la Marche perpétrée par “le seigneur Rodolfo et ses frères”. La participation à des entreprises politico-militaire communes se poursuit non sans s’accompagner de rivalités personnelles entre le chef de famille, Rodolfo, et les autres membres de la fratrie. Après la mort de ses trois aînés, Gen. évince leurs héritiers et s’impose comme le nouveau chef du groupe familial. Il s’appuie fortement sur ses propres fils et petits-fils, au premier rang desquels figure Rodolfo III.
Pendant les premières années du Grand Schisme, les frères da Varano adoptent des positions divergentes et fluctuantes. Rodolfo II soutient clairement Clément VII et ses partisans. La famille profite de la crise et des faiblesses des deux obédiences pour renforcer ses positions dans la Marche d’Ancône. Gen. voit se succéder condamnations et pardons de la part du pape. Il obtient les seconds en échange de soumissions formelles qui lui permettent d’obtenir la reconnaissance du pouvoir exercé sur plusieurs des terres dont il s’est emparé. Son fils Rodolfo et lui prêtent serment de fidélité à Urbain VI en décembre 1388, sont condamnés par le même pape dès août 1389 comme “usurpatores” puis absouts en avril 1390, après s’être de nouveau soumis. Gen. jouit alors vraisemblablement de la concession de Camerino et de divers terrae et castra, sans qu’il soit possible de préciser son titre (gubernator, vicarius in temporalibus ou autre). Il est revanche cité comme vicaire pontifical au temporel de Camerino en mars 1392. A l’été 1392, (cf. infra), Gen. est désigné comme partisan de Boniface IX par un défenseur de l’obédience avignonnaise, Niccolò Spinelli. Ce dernier rappelle le parti pris par Rodolfo II, en raison de quoi il espère le ralliement de Gen.
A la fin de la même année, Gen. adhère à la ligue qui regroupe contre le recteur de la Marche, frère de Boniface IX, les Chiavelli de Fabriano, les Simonetti de Jesi, les Smeducci de San Severino, les Cima de Cingoli et les Strata de Matelica. En février 1393, il est convoqué avec son fils et d’autres seigneurs de la Marche par le pape romain, à cause de l’occupation de terres de l’Eglise “et nonnullos alios graves et enormes excessus”. Les registres avignonnais conservent la trace de paiements effectués la même année aux ambassadeurs qu’envoie Gen. de l’autre côté des Alpes, attestant l’entretien de contacts avec l’une et l’autre des obédiences. En décembre de la même année, une bulle de Clément VII montre l’opportunisme d’un Gen. qui tente d’obtenir des avantages de chacune des parties. Le pape avignonnais qui a perdu pied dans la Marche lui accorde une “plenam et liberam potestatem” pour soumettre les officiers de la province à son autorité. Moins de trois ans plus tard, en mars 1396, Gent. et ses fils reçoivent un vicariat de Boniface IX pour onze terre et castri.
Ces louvoiements s’insèrent à l’intérieur de luttes contre les entreprises expansionnistes des frères du pape Tomacelli dans la Marche au cours des années 1390. Les tensions avec les officiers pontificaux parents de Boniface IX ne reposent pas tant sur l’adhésion de principe à une obédience que sur l’opposition à des projets mêlant trop étroitement les intérêts de la famille du pape à ceux de l’Eglise romaine.
Camerino est gouvernée par une commune populaire que dirigent les magistrats habituels de ce type de régime, podestat et capitaines des Arts notamment. La documentation produite par ces institutions fait presque complètement défaut pour la période mais il semble bien qu’avant le début du xve siècle les da Varano n’aient tenu officiellement aucune charge de la commune qui conserve ses compétences et une large autonomie. La famille s’approprie pourtant, en toute illégalité, une part des entrées que devrait normalement percevoir le camerarius communi et jouit, dans le domaine de la justice, d’un droit de grâce pour les affaires mineures (maleficii). La prééminence du chef de famille sur les magistratures apparaît clairement lorsqu’au début des années 1380, un conflit de confins opposant deux castra du contado est jugé par le judex malleficiorum de la commune, qui est cité comme commissaire de Gen. En 1394, le podestat sortant voit son salaire versé au nom de Gen. et de la commune. C’est pourtant à la commune que s’adressent le gonfalonier de justice et les consuls du Peuple de Gubbio, en 1378, lorsqu’ils recherchent des officiers pour la “custodia” de leur cité. Les frères da Varano interviennent avec une visibilité particulière (mais sans doute y a-t-il là un biais induit par la documentation conservée) dans les domaines publics de la défense et du budget. Sous forme d’avances au moins, ils prennent en charge une large part des dépenses pour la protection de la ville et de son territoire, jouant un rôle central dans la conduite des opérations militaires. A la suite d’une guerre entre les “magnifici domini de Varano et commune Camerini” d’une part, les terres de Matelica et de Fabriano de l’autre, une paix est conclue en 1383. Le mandataire du premier camp est Gentile di Venanzio, qui agit à la fois en tant que commissaire de ses trois oncles Rodolfo, Gio. et Gen. et, sans qu’il soit précisé à quel titre, au nom de la commune et d’autres communautés alliées. Représentée par un da Varano, la commune reste un acteur à part entière de la scène diplomatique.
Jusqu’à sa mort, Rodolfo II est le chef de famille. Au cours des années 1360, en de nombreuses occasions, il s’impose avec ses frères comme représentant de la cité. Selon Grimoard, les quatre hommes pèsent lourdement sur les institutions de la commune, qu’ils parviennent à orienter sans y détenir de charge et au nom de laquelle ils versent un impôt. L’obtention du vicariat dans les années 1370 accroît encore leur influence à l’intérieur de la ville et leur rôle d’intermédiaire vis-à-vis de l’extérieur. Lorsque Grégoire XI autorise l’installation d’un studium generale à Camerino, il adresse le privilège à la commune et au peuple de Camerino, indiquant qu’il répond à une pétition faite par ces derniers et par Gen. (auquel il ne donne pas de titre). Le poids qu’ils font peser sur la cité et la commune est suffisant pour que, dans les années 1380, les da Varano puissent prétendre gouverner Camerino. Lors d’un pacte conclu entre les membres rivaux de la famille en 1386 (cf. infra), les médiateurs pérugins indiquent que les citoyens et les contadini de Camerino sont gouvernés (regi) “more solito de dominis de domo de Varano sub quorum protectione, gubernaculo et benigno regimine […] vixerunt in pace et bono statu tranquilitate ac rerum abundantia”, avant d’ajouter que “decens sit que maior, honorabilior et antiquior domus et magis praticus et expertus in regimine regat rem publicam”. La domination se trouve justifiée par le poids (social, économique, militaire) de la famille, son ancienneté et sa pratique du gouvernement.
La répartition du pouvoir au sein de la fratrie reste inconnue. Dans une lettre d’août 1383, les prieurs de Foligno autorisent un de leurs concitoyens installé à Tolentino à s’implanter “per terras et loca subiecta ipso magnifico domino domino Ioanni Varanorum dominorum de Camerino”. La formule évoque un pouvoir collectif sur Camerino et souligne le rôle de Gio. alors que Rodolfo n’est pas encore mort, sans qu’il soit possible de connaître la nature des terres soumises au cadet. Après la mort de ce dernier, Gen. apparaît très régulièrement dans la documentation avec son fils Rodolfo à ses côtés. Les deux hommes sont mentionnés dans la paix conclue entre Pérouse et les Trinci en 1388, les parties s’autorisant mutuellement à recevoir les da Varano à condition qu’ils ne soient pas hostiles à l’une d’elles. Dans le serment de fidélité qu’il prête à Urbain VI en décembre 1388, Gen. fait des promesses qui engagent Rodolfo ainsi que la commune de Camerino. Le paragraphe liminaire du texte laisse entendre, d’une part, que le fils est étroitement associé au père dans les opérations militaires, d’autre part, que pour le pape, Gen. a la capacité d’engager la cité, bien qu’il ne soit pas cité comme son ambassadeur ni comme un représentant de la commune. La même année, les deux hommes adhérent à la ligue constituée par plusieurs seigneurs et communes de la Marche pour défendre les intérêts et le territoire de ses membres. Ils apposent chacun leur sceau sur l’acte. Le rôle éminent qu’ils jouent à Camerino est confirmé par le texte d’une trêve conclue en novembre 1393 avec plusieurs cités des environs (cf. supra). Ils ne sont pas sur un pied d’égalité (“lu magnifico e potente Signore Gentile da Camerino e Rodolfo soi figliolo”) mais s’engagent tous deux “per loro e per tutte loro ciptà, terre castelli, fortezze e tenuti”.
La dimension familiale du pouvoir exercé par Gen. et ses descendants est confirmée par la concession du vicariat pontifical de 1396. La charge est octroyée à “Gentilis quondam Berardi de Varano miles et Rodulphus ipsius Gentilis ac Gentilpandulphus et Berardus fratres dicti Rodulphi nati domicelli Camerinenses”, c’est-à-dire sur trois générations. Les petits-fils de Gen. sont intégrés progressivement aux mécanismes du pouvoir politico-militaire, dès qu’ils en ont l’âge. A cette date, la juridiction du vicariat n’inclut pas Camerino mais la papauté reconnaît implicitement le pouvoir exercé par les des Varano sur la cité, dès lors que cette dernière fait partie de la liste des partisans les ayant suivi dans la rébellion et bénéficiant comme eux du pardon papal.
Gen. entretient des liens avec les élites dirigeantes des cités de la Marche d’Ancône, qu’il met à profit dans le cadre d’échanges commerciaux. Les privilèges dont il bénéficierait alors expliqueraient sa demande d’obtention de la citoyenneté de Senigallia, à laquelle le pape dit consentir si elle sert les intérêts de l’Eglise. Au cours des années 1380-1390, il est régulièrement partie prenante aux différentes ligues qui regroupent communes et seigneuries de la Marche d’Ancône. Durant ces mêmes années, Gen. s’associe un temps à l’un des puissants condottières de la région, Biordo Michelotti, avec lequel il mène plusieurs opérations militaires. Il se trouve ensuite en situation, du fait de la demande formulée par Florence en 1396, de combattre contre une coalition de mercenaires rassemblant notamment Paolo Orsini et Ceccolino Michelotti, frère de Biordo.
Des relations sont entretenues avec d’autres villes d’Ombrie (Pérouse, Foligno dont le seigneur, Ugolino Trinci, intervient comme arbitre dans plusieurs négociations importantes impliquant la commune et les da Varano) et de Toscane. La femme de Gen., Teodora di Niccolò Salimbeni, est originaire de Sienne, cité où Gio. envisage un important legs testamentaire puisqu’au cas où son projet de monastère olivétain avorterait à Camerino (cf. infra), il prévoit que toutes les terres qu’il lui destinait reviennent à l’hôpital Santa Maria della Scala.
D’importantes unions matrimoniales sont contractées avec les Malatesta. Rodolfo III, fils de Gen., épouse en première noce Elisabetta di Pandolfo II da Pesaro dont un frère, Malatesta dei Sonetti, est marié à une fille de Rodolfo II. D’autres mariages rapprochent les deux familles. Les Smeducci de San Severino font également partie des alliés recherchés, en dépit de tensions récurrentes entre les deux familles. Rodolfo III prend comme seconde épouse Costanza di Bartolomeo Smeducci.
Dans les registres de l’Art de la laine de Rome, en novembre 1368, “Gentile da Varano de Camerino, miles”, apparaît comme “Almae Urbis Senator illustris, per dominum nostrum summum pontificem deputatus”. Il est seigneur de nombreuses terre, dont il s’est fait remettre le gouvernement par les communautés elles-mêmes ou par la papauté (Monte Santo di Spoleto, à la fin des années 1380 ; Montecchio dans les années 1380-1390). De même, Gio. obtient de Macerata, au début des années 1380, que la cité lui confie sa direction.
Dans son testament (1384), Gio. multiplie les actions en l’honneur de la Vierge Marie, à laquelle est dédiée la cathédrale de Camerino. Il possède des droits sur l’église Santa Maria Nuova, dans le principal faubourg de la cité, qu’il lègue à une communauté olivétaine dont il organise l’implantation. Il dispose en effet qu’après sa mort, des moines bénédictins s’installent dans ses maisons situées à proximité de l’église, qu’il leur donne en même temps qu’un riche patrimoine foncier et immobilier dispersé dans de nombreux lieux des environs. Il crée un oratoire dans le nouveau monastère et fonde un autel dédié à la Vierge et à saint Antoine à l’intérieur de Santa Maria Nuova.
L’ensemble de ces dispositions testamentaires est mis par écrit dans la cathédrale, en présence de l’évêque qui est aussi le premier exécuteur cité. Le prélat se trouve être Benedetto Chiavelli qui, membre d’une famille liée à celle des da Varano (vedi scheda Rodolfo II da Varano), occupe la cathèdre de Camerino de 1378 à 1390. Gio., Gen. et les leurs possèdent une chapelle dans l’ecclesia matrix, fondée par leur aïeul Berardo et lieu de sépulture de plusieurs de leurs ascendants.
Les quatre frères sont encore propriétaires de plusieurs droits de patronage pour d’importantes églises du contado, comme celui de la plebs de Favera qu’ils ont hérité en indivision de leur père, Gentile II. En 1399, Gen. achète des terres dans le diocèse de Camerino, auxquelles est lié le droit de patronage de l’église de Sainte-Marie-et-Saint-Vincent de Cananiculo.
Au début des années 1380, le palais hérité de Gentile II, que se partagent les frères da Varano à côté de la cathédrale, est agrandi. Plusieurs maisons du voisinage immédiat sont achetées et lui sont adjointes, ce qui contribue à renforcer l’implantation spatiale de la famille dans l’un des deux principaux pôles urbains de la cité.
Le pouvoir associe plusieurs membres de la famille entrent lesquels se manifestent de vives tensions. les quatre frères et leurs descendants. Au début des années 1370, Grimoard écrit que les quatre frères “non sunt bene concordes” et que la cité de Camerino pâtit de leur mésentente. Lorsqu’éclate la guerre des Huit saints, ils se trouvent dans des camps opposés.
Après la mort de Venanzio, ses fils Gentile et Berardo exercent des responsabilités politiques pouvoir. Gentile di Venanzio contribue avec ses oncles au contrôle de plusieurs terre raccomandate au début des années 1380 mais une fois Gio. disparu (1385), Gen. III et ses descendants s’imposent. Un codicille au testament de Gio., en 1385, favorisait déjà nettement l’aîné de Gen. III, Rodolfo. Selon un chroniqueur de Fermo, ce dernier et son père “expulerunt Gentilem et Berardum domini Berardi (sic, pour domini Venanzi) de Camerino, et combuserunt domos eorum, et inceperunt guerram”. Une paix est conclue le mois suivant, “tamen non duravit multum” ajoute le chroniqueur. Les archives confirment ce récit. Plusieurs accords sont passés afin de permettre le retour des fils de Venanzio à Camerino et la restitution de leurs biens. L’un deux est trouvé à la suite de la médiation d’Ugolino III Trinci, seigneur de Foligno. Resté lettre morte, il est suivi d’un arbitrage rendu par Pérouse en août 1386. Lorsque les émissaires de la cité ombrienne désignent les camps qui doivent mettre fin aux “discordia et divisio” en 1386, ils citent d’un côté Gen. III, son fils et la commune de Camerino, de l’autre Gentile et Berardo. Le texte présente un volet patrimonial et un volet politique où sont rappelés les engagements du traité de Foligno, notamment celui selon lequel les frères exilés, après leur retour, “possint facere gratias de maleficiis et aliis in civitate et comitatus et districtu Camerini”. Gent. n’en conserve pas moins le pouvoir qu’il a acquis sur Camerino et sur la commune.
En 1392, dans le mémoire qu’il rédige en vue de la préparation d’un accord entre Clément VII, Charles VI de France et Giangaleazzo Visconti, Niccolò Spinelli établit une liste des cités italiennes “pertinentes ad sacrosanctam Romanam ecclesiam”. Il note au sujet de Camerino : “Istam tenet dominus Gentilis de Camarino, expulsis inde consortibus suis”.
Camerino, Sezione Archivio di Stato, Libro Rosso, fol. 33r-35r; Città del Vaticano, Archivio Segreto Vaticano, Reg. Vat. 271, fol. 235r, Reg. Vat. 315, fol. 134r-138v; Parma, Archivio di Stato, codice Varanesco, fol. 251v-252v; 254v-257r; 257r-258r; 278r; 274v-275v; 302v.
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